Depuis une semaine,
l’affaire Boubacar Sèye du nom du président de l’Ong Horizon sans
frontières, placé sous mandat de dépôt pour « diffusion de fausses
nouvelles », déchaîne de vives réactions. Retour sur les péripéties
d’une vie d’un migrant entièrement dévolue aux causes migratoires.
«
L’argent est le nerf de la guerre », dit le vieil adage ! Boubacar Sèye
qui croupit depuis une semaine en prison, ne le concevait surement pas
sous cet angle il y a deux mois, quand il demandait un audit des fonds
que l’Union Européenne a alloués au Sénégal dans le cadre de la lutte
contre l’immigration clandestine après l’hécatombe marine qui a emporté
plus de 400 jeunes sénégalais.
Pour
cette liberté de ton, le président de l’Ong Horizon sans frontières
(HSF) a été placé sous mandat de dépôt le mardi 19 janvier 2021 pour «
diffusion de fausses nouvelles » après son arrestation à sa descente
d’avion à l’aéroport Blaise Diagne de Dakar en provenance de Lisbonne
(Portugal), le vendredi 15 janvier.
Rewind
! Le 31 octobre 2020, au plus fort des chavirements de pirogues au
large des côtes sénégalaises, dans une interview accordée au site Actu
221, Boubacar Sèye soulève les sujets qui fâchent. « Le phénomène Barça
ou Barzakh ne sera jamais éradiqué. Parce que dans un pays comme le
Sénégal, la migration est économique. C’est-à-dire que c’est l’extrême
pauvreté, le chômage endémique des jeunes…qui poussent les Sénégalais à
migrer », analyse Sèye.UE et les détenteurs de fonds au banc des accusés
«
Après tout ce qui s’est passé (chavirements de pirogues de candidats à
l’émigration clandestine), c’est le moment du bilan. Les jeunes meurent
dans nos côtes. C’est donc dire qu’il y a un échec quelque part. L’heure
est au bilan après tout ce que l’union européenne a injecté comme
fonds. Toutes les agences et détenteurs de fonds dans le cadre de la
lutte contre l’immigration clandestine doivent rendre compte », exige la
figure de proue des causes migratoires. A l’en croire, ni ces derniers
encore moins l’Union Européenne ne sont à dédouaner dans cette histoire.
«
Aujourd’hui les responsabilités sont partagées. L’UE devait être la
première à demander des comptes puisque sa politique n’a pas produit de
résultat. C’est clair maintenant que les fonds qu’elle donne aux Etats
entre dans des tonneaux sans fond. Les régimes qui se sont succédé se
sont enrichis. Si ces fonds de l’UE n’étaient pas dévoyés de leur
objectif, on n’en serait pas là. J’ai animé une conférence organisée par
Me Alioune Badara Cissé que je salue au passage, quand on a fini, c’est
la représentante de l’UE (à cette réunion) qui m’a demandé mon e-mail
et m’a envoyé tout ce que l’UE a injecté comme fonds », charge-t-il.
Ces précisions de l’UE qui confirme l’échec dont Sèye fait allusion
Si
ses propos lui valent aujourd’hui un mandat de dépôt pour diffusion de
fausses nouvelles, selon ses proches, c’est parce qu’ils mettent un gros
coup de projecteur sur l’échec des politiques de lutte contre
l’émigration clandestine dont les conséquences directes sont : des
pertes en vie humaine, des familles disloquées, des parents dans le
désarroi…
Citée
par le président d’Horizons sans frontières, l’Union européenne réagit
par le biais d’un communiqué. Le document fait état de l’existence d’un
Fonds fiduciaire d’urgence qui a permis de financer depuis 2016, «18
programmes, dont 10 nationaux et 8 régionaux, pour un montant total de
198 millions d’euros, soit près de 130 milliards de francs Cfa». Une
sortie destinée visiblement à enfoncer le président de Hsf mais qui en
réalité relance plutôt le débat posé par Sèye. Raison pour laquelle
Alioune Tine soutient : « Boubacar Sèye ne doit pas perdre une seule
seconde dans la prison après la sortie de l’UE. Il doit sortir pour
qu’on continue le débat ».
Dans
son communiqué, l’UE indique que ces fonds «visent la création
d’opportunités économiques et d’emplois. Le Ffu encourage, en effet, la
formation et l’insertion professionnelles des jeunes, soutient la
création de chaînes de valeurs, l’amélioration de la compétitivité des
entreprises, et favorise la mobilisation des ressources de la diaspora
pour contribuer au développement économique et social du Sénégal…». Que
les jeunes continuent à braver la mer à la recherche de l’eldorado
malgré tous ces programmes est, selon Sèye, une preuve patente de
l’échec de ces politiques.
S’agissant
du suivi-évaluation, le bailleur de fonds assure que tous ses projets,
«font l’objet de procédures de vérification des actions et des dépenses
au cours de la mise en œuvre ainsi que des audits et des évaluations en
fin de projet. L’UE a mis en place un suivi de proximité et évalue les
activités menées, notamment avec la mise en place d’un système de suivi
et d’apprentissage qui vise à mesurer les résultats et l’impact des
projets. Conformément aux recommandations de la Cour des comptes
européenne, l’UE s’emploie à renforcer la qualité des indicateurs de
résultat, ainsi qu’à rendre le système de suivi plus simple et plus
accessible ».
Boubacar Sèye, une vie de migrant
Si
les questions migratoires passionnent tant ce Sénégalo-espagnol (il a
la double nationalité) de 54 ans, c’est parce qu’il porte jusque dans sa
chair, les stigmates de l’émigration et de ses aléas. Né en novembre
1966, il quitte le Sénégal pour la première fois à l’âge de 22 ans pour
des raisons professionnelles. Il est parti en Côte d’Ivoire puis au
Gabon où il donnait des cours de mathématiques.
C’est
à partir de la Côte d’Ivoire que Sèye fait ses démarches
administratives et atterrit en Italie puis en France et enfin en Espagne
où il s’installe finalement après s’être marié (il est père de deux
enfants). Marqué par les difficultés d’intégration et le choc des
cultures auquel sont confrontés certains migrants, Boubacar Sèye décide
de mettre sur pied Horizon sans frontières (HSF) avec l’appui de banques
espagnoles.
Mais
c’est en 2013 que l’Ong s’internationalise avec une antenne africaine
basée à Dakar et gérée par Sèye lui-même et élargit, chemin faisant, son
champ d’action, jetant son dévolu sur les droits des migrants.
Aujourd’hui, sa libération est exigée par plusieurs organisations de la
société civile sénégalaise qui jugent aussi bien cette procédure
judiciaire que le chef d’accusation qui la sous-tend, injustes et
injustifiés.