Les tabloïds
britanniques s’interrogent sur la disparition d’un buste de Winston
Churchill qui était présent dans le bureau de Donald Trump.Mais
où est passé le buste de Winston Churchill ? Lorsque Joe Biden a ouvert
le bureau Ovale à la presse, mercredi 20 janvier, pour son premier jour
à la Maison Blanche, le changement a immédiatement sauté aux yeux… des
tabloïds britanniques.
Le
bureau Ovale symbolise la puissance et la majesté de la fonction
présidentielle américaine. En y entrant, Joe Biden, comme tous ses
prédécesseurs, a récupéré les affaires en cours et imprimé sa marque sur
la décoration : celle-là doit refléter sa personnalité, le type de
présidence qu’il entend mener, et l’inspirer un tant soit peu, dans la
mesure où ses journées vont être chargées.
La
déco de Joe Biden, c’est l’inventaire à la Prévert de l’histoire des
Etats-Unis : face au Resolute Desk (le bureau présidentiel), il a
accroché le portrait du président Franklin D. Roosevelt (en référence à
la crise des années 1930), autour duquel il a ensuite disposé ceux de
George Washington, du secrétaire au Trésor Alexander Hamilton, des
présidents Thomas Jefferson et Abraham Lincoln. Il a par ailleurs ajouté
celui de Benjamin Franklin, destiné à montrer la foi qu’il a dans la
science. A côté, il a posé une pierre de lune, hommage aux missions
spatiales et écho au retour prévu en 2024 sur le satellite de la Terre.
Viennent
ensuite les bustes : Abraham Lincoln, Martin Luther King, Robert F.
Kennedy et Rosa Parks – autant de références aux combats pour les droits
civiques. Mais quid de celui de Winston Churchill, allié indéfectible
de Roosevelt pendant la seconde guerre mondiale, qui le premier a
qualifié de « special relationship » les liens diplomatiques,
économiques, militaires et culturels très étroits qui existent entre le
Royaume-Uni et les Etats-Unis ?
« L’affront fait à Churchill »Une
certaine presse anglaise, dont fait partie le Sun (qui défend bec et
ongles la « britannitude »), s’insurge contre cet « affront fait à
Churchill » (« Churchill snub »). Le Daily Mail s’étrangle et trouve «
très inquiétant » que le buste ait été remplacé « par le socialiste
César Chávez », leader syndical paysan américain et militant des droits
civiques. Nigel Farage, héraut du « Brexit » et soutien malheureux de
Donald Trump, estime que ce retrait est « une gifle pour les
Britanniques et pour toute perspective [d’entretenir] de bonnes
relations ».Ce
n’est pas la première fois que le Royaume-Uni s’interroge sur les
tribulations dudit buste à la Maison Blanche. En pleine campagne pour le
Brexit et à l’occasion de la visite de Barack Obama sur le sol
britannique en avril 2016, Boris Johnson, alors maire de Londres, avait
publié dans The Sun une tribune aux relents racistes. Il y laissait
entendre que le président, en sa qualité de « demi-Kényan », avait sans
doute retiré le buste du bureau Ovale en raison d’une supposée «
aversion ancestrale pour l’Empire britannique, dont Churchill avait été
un fervent défenseur ».
Pas un, mais deux bustesMais
ce qu’ignorait visiblement M. Johnson, c’est qu’il y a deux bustes du
Vieux Lion à Washington. Tous deux ont été créés par le sculpteur Jacob
Epstein, qui, à la fin de la seconde guerre mondiale, avait été chargé
par le War Artists Advisory Committee de la conception d’un buste de
l’ancien premier ministre britannique, rappellent le Washington Post et
la chaîne CNN. Cependant, personne ne sait vraiment combien de modèles
ont été fondus avant de parvenir au résultat final – dix, douze ou
seize.
L’un
d’eux, qui avait été offert au président Lyndon B. Johnson le 6 octobre
1965, a par la suite dû faire l’objet d’une restauration à durée
indéterminée. C’est ainsi que, en juillet 2001, Tony Blair a fait prêter
celui de la résidence de l’ambassadeur britannique à Washington à
George W. Bush. Ce buste-là est donc demeuré dans le bureau Ovale
jusqu’au départ du républicain, avant d’être rendu aux autorités
britanniques.
Le
buste appartenant à la Maison Blanche n’est pas pour autant tombé aux
oubliettes. Sous la présidence de Barack Obama, il était placé à
l’extérieur du bureau Ovale, dans la salle des Traités, pièce qui fait
partie des appartements privés de la famille présidentielle. En avril
2016, lors de son voyage à Londres, Barack Obama avait répondu aux
sous-entendus de Boris Johnson, sans jamais le nommer. « J’aime ce type
», a-t-il déclaré (à 41 minutes et 32 secondes dans la vidéo ci-dessus) à
propos du buste, avant d’ajouter : « Il n’y a pas beaucoup de tables où
l’on peut mettre des bustes. Sinon, elles commencent à avoir l’air un
peu encombrées. »
Après
son entrée à la Maison Blanche, Donald Trump avait ramené le buste dans
le bureau Ovale, peu avant de prendre le décret anti-immigration, le «
Muslim ban » et le « Travel ban ». Le Guardian relevait que Jacob
Epstein incarnait tout ce que Trump détestait. Né à New York en 1880, il
était le fils de réfugiés juifs de Pologne ayant émigré aux Etats-Unis
pour fuir la misère et les persécutions.
Toutefois,
de nos jours, il semble bien que l’aura dont a pu jouir Winston
Churchill n’est plus ce qu’elle était, même au Royaume-Uni. En juin
2020, une statue de l’ancien premier ministre située près du Parlement a
ainsi été taguée de l’inscription « raciste » à l’occasion d’une
manifestation du mouvement Black Lives Matter, laquelle faisait suite à
la mort de l’Afro-Américain George Floyd, victime de violences
policières à Minneapolis (Minnesota). Boris Johnson avait condamné cette
action. Il l’avait qualifiée d’« absurde et de honteuse », avant
d’ajouter qu’il était impossible d’essayer de changer les actions et les
pensées de ceux qui, plusieurs décennies auparavant, avaient dirigé le
pays.
Au
moment où les liens familiaux entre Joe Biden et l’Irlande font
craindre au Royaume-Uni un affaiblissement de la special relationship,
le 10 Downing Street a décidé de ne pas réagir à cette affaire de buste.
Dans un communiqué envoyé à la presse, un porte-parole a répondu qu’il
revenait « bien sûr au président de décorer le bureau Ovale comme il le
souhaitait ». La Maison Blanche n’a elle non plus pas fait de
commentaire.