Je l’avoue, j’ai du mal à me faire et à m’adonner à une lecture assidue
de ce que mon frère Abdou Aziz Diop, appelle, à juste raison, dans une
tribune publiée dans l’édition du journal Le quotidien, du vendredi 2
août : « les raclures des caniveaux de Facebook ».
Les posts sur Facebook, ce sont d’abord ça. Certes, pas uniquement, mais la vérité est que c’est cela, pour l’essentiel.
Ce moyen de communication qui devient de plus en plus un médium de
masse, me conforte dans l’idée que Jacques Attali a sûrement raison,
quand il explique, dans une remarquable tribune publiée au mois de juin
dernier dans la presse française, que les médias sociaux constituent une
menace pour nos sociétés, en insistant particulièrement sur l’idée que,
si l’on n’y prenait garde, ils détruiront notre civilisation.
En
lisant, après son arrestation les posts qui ont valu à Adama Gaye ses
déboires actuels, j’ai davantage saisi le sens du propos de Jacques
Attali.
Me sont surtout venus en mémoire les termes d’un
entretien que j’ai eu, il y a plus d’une trentaine d’années, alors que
je m’engageais dans la profession de journaliste, avec le responsable de
mon stage : Jean Pierre Vautravers.
Autant vous dire un vieux
baroudeur qui avait longtemps blanchi sous le harnais et pour qui le
journalisme n’avait plus de secret.
Envoyé en France à la faveur
d’un stage post-cursus, j’atterrissais dans la rédaction d’un quotidien
marseillais : La Provençale. Et c’est lui, Jean Pierre Vautravers, mon
maître de stage qui désira, avant toute chose, me parler du beau métier
que je souhaitais faire. Il tenait surtout à me mettre en garde. De ce
qu’il me dit, me resteront éternellement en mémoire ces mots : « Jeune
homme, je vois que chez vous, vos articles sont encore rédigés dans un
langage correct et agréable, vous respectez les règles de l’écriture
journalistique, de même que la syntaxe et la grammaire dans
l’expression. Votre pays m’est resté dans le cœur depuis que j’ai assuré
pour mon journal la couverture du Festival Mondial des Arts Nègres en
1966. Faites cependant gaffe, à ne pas tomber dans les excès et dans
l’audace injustifiée de mes jeunes confrères ici qui font dans une
facilité désarmante qui les incline naturellement à la calomnie, à
l’insulte et à l’imputation gratuite et méchante ».
Le maître
n’en avait pas fini avec moi, ces dernières recommandations : « quand
vous en arriverez à imputer, vous mettrez d’abord à la place de ceux que
vous visez les noms de personnes qui vous sont proches et très chères :
votre papa, votre mère, par exemple, vous relirez à haute voix votre
papier, avant de tout remplacer dans le texte par vos coupables
désignés. Sachez que les personnes que vous citerez ont de la famille,
ont une dignité et une honorabilité à faire préserver. Votre liberté
n’est pas une licence, encore moins un permis pour assassiner ».
Dans mes cours de journalisme, j’aimais bien répéter ces mots à mes
étudiants. Tous ceux qui, aujourd’hui, défendent au nom de principes
douteux les écrits en cause dans l’affaire Adama Gaye, devraient
s’interroger. Accepteraient-ils de concéder une once de liberté à
l’auteur des charges lancées contre la personne du Chef de l’Etat, afin
qu’il les traite de la même manière ? La réponse est non, évidemment.
Nul parmi ceux qui ruent dans les brancards pour défendre Adama Gaye
et ses propos, ne pousserait l’hypocrisie et la mauvaise foi pour dire
le contraire. En méditant les enseignements de ce vieux brisquard du
journalisme dont les propos sont ci-dessus rapportés, ils devraient
pouvoir lire dans le texte du Consultant incriminé, leur propre
situation ou celle de parents, amis et proches et apprendre ainsi à se
montrer plus justes et plus raisonnables dans leur soutien. Le parti
pris émotionnel accouche souvent d’une passion aveuglante, voire
haineuse à certains égards.
Sachons raison garder, car
c’est l’image d’une nation qui est en jeu. Une image projetée de la pire
des manières, alors que celle-ci est scrutée par tous et un peu partout
à travers le monde. On peut parfaitement prendre position dans le débat
public ouvert sur le pétrole, exprimer des positions nettement en
porte-à-faux avec celles défendues par les tenants du pouvoir, sans
jamais calomnier personne.
Encore moins insulter, de
surcroît la personne du Chef de l’Etat. Il s’agit en définitive de
cela. J’aime bien la conception anglo-saxonne du journaliste dans
laquelle n’est considéré comme tel qu’un homme ou une femme exerçant ce
métier dans une rédaction et cesse de l’être, dès qu’il en sort pour
faire autre chose. Je dis cela pour m’inquiéter de la position de
certains défenseurs des droits de l’homme, si prompts à dénoncer les
autorités qui bafoueraient les libertés publiques, en l’espèce, la
liberté d’expression d’un journaliste, quand des écrits aussi infamants
et injurieux que les textes produits par Adama Gaye le conduisent à
devoir s’expliquer et à assumer ses responsabilités devant un juge.
Tout citoyen dispose de droits et dont il est important d’en assurer
une protection stricte dans toute société démocratique. Il y a cependant
lieu de rappeler que la conduite de charges publiques n’enlève à
personne de jouir de tels droits. Elle n’est pas, non plus, susceptible
de placer les droits des hommes publics en dessous de ceux des autres
citoyens et que l’on puisse ainsi s’autoriser n’importe quelle fantaisie
avec les droits des hommes politiques en particulier.
Sinon, on
risque de croire et de faire comprendre que l’approche que l’on peut
avoir des droits de la personne et la façon de les défendre peuvent être
divisibles.
Approche et défense divisibles, selon votre statut
dans la société, votre rang ou selon la posture qui est la vôtre dans la
sphère publique.
Ce serait dangereux de penser de la sorte, car
cette manière est la première cause de mise en péril des droits la
personne. La liberté d’expression n’est pas une liberté publique
absolue.
Jamais cela n’a été et ne sera le cas dans une société
démocratique soucieuse de préserver dans l’intérêt de tous les grands
équilibres, à la fois, sociaux, institutionnels et autres qui sont les
seuls garants, car ils en assurent la pérennité.
La défense
d’intérêts personnels primordiaux, si importants soient-ils pour celui
ou ceux qui les portent, ne sauraient fonder ou justifier la rage, la
hargne et l’indécence avec lesquelles les écrits du Consultant Adama
Gaye ont tenté de désacraliser l’institution que représente le président
de la République. Rappelons que le Chef de l’Etat n’a pas porté plainte
contre Adama Gaye. Il existe dans le droit sénégalais des mécanismes de
protection des institutions de la République qui ont été à juste titre
mis en œuvre.
Heureusement, qu’il en est ainsi, sinon nous
aurions accepté de vivre dans un Etat de droit amputé quelque part de
moyens pour se protéger, afin d’assurer sa survie.
Nul
Sénégalais, je crois ne souhaite cela. Dans la procédure engagée contre
le consultant Adama Gaye – pense-t-il, peut-être, qu’il existe en droit
sénégalais une liberté d’insulter -, il s’agit d’un devoir de sauvegarde
impératif de l’esprit républicain.