Au Royaume-Uni, une enquête publique tente de
faire la lumière sur les pratiques très controversées de policiers
infiltrés auprès de divers groupes militants.
En
juillet 2010, Lisa Jones (un pseudonyme) voyage en Italie avec son
petit ami Mark Stone, militant écologiste comme elle. Alors qu’elle
cherche des lunettes de soleil dans la boîte à gants de leur van, sa
main tombe sur un passeport britannique dans lequel elle aperçoit la
photo de son amoureux à côté d’un nom qu’elle ne connaît pas: Mark
Kennedy. Elle y trouve également un téléphone portable qui affiche les
e-mails de deux enfants qui appellent son fiancé «papa».
C’est
ainsi qu’a débuté, comme le raconte le Guardian, le scandale des «spy
cops», des «flics espions» chargés de surveiller divers groupes
militants, principalement de gauche, et dont les pratiques font
aujourd’hui l’objet d’une enquête publique outre-Manche. Car Mark
Kennedy n’était que le dernier d’une longue liste de policiers (au moins
139), hommes et femmes, ayant infiltré plus de 1.000 groupes politiques
depuis la fin des années 1960.
Arrestations
Pour
plus de véracité, ils prenaient régulièrement l’identité d’enfants
morts et avaient pour mission de surveiller au plus près les groupes
visés, quand il ne s’agissait pas directement de leur nuire. C’est ainsi
que des policiers ont pu transmettre à de grandes entreprises des
informations erronées au sujet de syndicalistes afin de les blacklister,
quand ils ne jouaient pas carrément les agents provocateurs.
Au moins trois de ces policiers ont eu des enfants avec les femmes qu’ils espionnaient.
L’un
des plus célèbres, Bob Lambert, est par exemple suspecté d’avoir
incendié un magasin en 1987 alors qu’il travaillait sous couverture
auprès d’un groupe militant pour les droits des animaux. Un rapport au
procureur général a montré que vingt-six policiers, au moins, ont été
arrêtés pour des faits criminels commis dans le cadre de leur mission.
Relations intimes
Les
opérations duraient en général de quatre à cinq ans, ce qui permettait
aux policiers de tisser des liens solides avec leurs cibles, voire de
véritables relations intimes. Au moins trois de ces policiers ont eu des
enfants avec les femmes qu’ils espionnaient (ce n’est, par exemple,
qu’à 26 ans que le fils de Bob Lambert a appris que le père qui l’avait
abandonné à 2 ans était en réalité un policier infiltré auprès de sa
mère, parti une fois sa mission achevée).
De
l’aveu même de Sir John Mitting, le juge en charge de l’enquête,
beaucoup de groupes visés par ces opérations n’étaient pas dangereux.
Cela a notamment été révélé par le policier Peter Francis, qui a joué
les lanceurs d’alerte en révélant qu’il avait travaillé sous couverture
plusieurs années durant auprès des proches de Stephen Lawrence,
adolescent noir victime d’un meurtre raciste en 1993, parce qu’ils
réclamaient justice.
Il
est également reproché à certains policiers infiltrés d’avoir menti
sous serment lors de procès afin de protéger leur identité, ce qui a pu
conduire à des inculpations à tort de certains militants. Aujourd’hui,
bien que l’enquête soit publique, les photos et vidéos sont interdites
lors de l’audience afin d’assurer la sécurité des agents impliqués et de
ne pas nuire à leur vie privée.
Il
faut dire que plusieurs femmes de policiers travaillant sous couverture
ont divorcé après avoir appris la double vie de leur mari. Comme l’a
résumé avec une retenue toute britannique l’un des avocats des victimes
de ces opérations de surveillance, elles ont entraîné des situations
«hugely convoluted» (incroyablement compliquées).