Le commissaire européen en charge de la
régulation des services numériques, Thierry Breton, a critiqué lundi le
blocage de contenus par Facebook en Australie en représailles à un
projet de loi qui contraindrait le géant américain à rémunérer les
médias. Une passe d’armes qui rappelle le bras de fer entre les médias
français et Google, qui a débouché le mois dernier sur un accord
qualifié de « belle avancée » par l’avocate Christiane Féral-Schuhl.
Entre
les médias et les GAFAM, la guerre se poursuit. Le commissaire européen
en charge de la régulation des services numériques, Thierry Breton, a
sévèrement critiqué, lundi 22 février, le blocage de contenus
d’actualité par Facebook en Australie en représailles à un projet de loi
qui le contraindrait à rémunérer les médias. Jeudi dernier, le réseau
social avait en effet empêché des millions d’internautes de lire et de
partager des articles sur la plateforme.
L’événement
n’est pas sans rappeler l’épreuve de force qui oppose Google à la
presse française. Après des négociations mouvementées, les deux parties
ont néanmoins annoncé, le 21 janvier dernier, la signature d’un accord
ouvrant la voie à la rémunération de la presse hexagonale par le moteur
de recherche américain au titre des « droits voisins ». Selon l’Apig, qui
représente les quotidiens nationaux et régionaux, « une étape majeure » a
été franchie, qui est « l’aboutissement de nombreux mois de négociations
dans le cadre déterminé par l’Autorité de la concurrence ».
Contactée
par France 24, Christiane Féral-Schuhl, avocate spécialiste en
propriété intellectuelle et informatique, revient sur l’intérêt de
mettre en place de telles mesures, à une époque où les GAFAM sont
incontournables.France 24 : Quel est l’objectif du projet de loi australien vis-à-vis des géants du Net ?Christiane Féral-Schuhl : En
Australie, le gouvernement veut obliger Google et Facebook à rémunérer
les groupes de presse : les deux groupes américains, qui captent une
large majorité du marché public sur le Web, devront verser plusieurs
millions de dollars aux médias locaux. L’Australie va adopter dans les
mois à venir une loi contraignant Google et Facebook à partager leur
revenus publicitaires avec les groupes de presse, et cette rémunération
tournerait autour de plusieurs millions de dollars annuels.
C’est
compréhensible que Google crée de la valeur en constituant une revue de
presse. Pourquoi passe-t-on par Google ? Parce que Google nous permet
d’identifier immédiatement toutes les informations en lien avec un
sujet. Quand je clique sur un contenu, Google est rémunéré à chaque
passage grâce à la publicité, là où moi je ne paie pas parce que je suis
lecteur. Mais celui qui a fourni l’article, et donc la matière grise –
que ce soit l’auteur, le journaliste ou le rédacteur –, ne gagne rien.
En
France, le bras de fer entre Google et les agences et éditeurs de
presse a débouché sur un accord. Un accord-cadre dans lequel Google
s’engage à négocier individuellement avec les 300 titres de presse
concernés.
Comment en est-on arrivé là en France ?
La
loi du 24 juillet 2019 a cherché un rééquilibrage des rapports de force
entre les plateformes en ligne et les agences et éditeurs de presse.
Son objectif était notamment d’empêcher les moteurs de recherche comme
Google d’effectuer un pillage des contenus. Cette loi visait donc à
favoriser les négociations entre les parties, et c’est sur le fondement
de cette loi qu’agences et éditeurs ont demandé une rémunération dès
lors que leurs contenus éditoriaux sont réutilisés par Google dans le
cadre des services que le moteur de recherche propose.
Avant
l’entrée en vigueur de cette loi, Google avait annoncé qu’il
n’entendait pas rémunérer les agences et éditeurs de presse pour la
reprise de leurs contenus. Le moteur de recherche avait menacé de ne
plus afficher d’aperçu du contenu en France pour les éditeurs de presse
européens, sauf pour ceux ayant fait des démarches pour indiquer que
c’était leur souhait. Le géant américain avait également menacé de ne
plus procéder au référencement de ces contenus sauf si les éditeurs lui
accordaient une licence à titre gratuit pour pouvoir inclure les
extraits et les miniatures des contenus sur les pages de résultats (ce
qui rappelle la polémique en Australie, après que Facebook a fait
disparaître tous les contenus éditoriaux de sa plateforme, NDLR).
L’Autorité
de la concurrence a donc été saisie par les éditeurs, qui ont allégué
de l’abus de position dominante et de l’abus de dépendance économique
vis-à-vis de Google et ont sollicité des mesures conservatoires
d’urgence pour contraindre Google à renégocier avec eux.
Dans
une décision d’avril 2020, l’Autorité de la concurrence a jugé que le
comportement de Google était susceptible de constituer un abus de
position dominante parce qu’il avait imposé des conditions de
transaction inéquitables. Elle a donc contraint Google d’entrer en
négociation ‘de bonne foi’ avec les agences et éditeurs pour définir la
rémunération associée au référencement des publications de presse
protégé par le droit voisin. Tout cela nous conduit aujourd’hui à un
accord-cadre en cours de négociation depuis un certain temps (dont la
signature a été annoncée le 21 janvier dernier, NDLR).
Ces accords peuvent-ils avoir un impact sur la liberté de la presse ?
Plus qu’un impact sur la liberté de la presse, c’est son modèle économique qui est touché.
Aujourd’hui,
la logique veut que pour identifier les articles qui vous intéressent,
Google est une mine formidable, mais il est anormal qu’économiquement,
ceux qui produisent le contenu ne bénéficient pas des revenus perçus par
Google, alors que n’importe quelle revue de presse donne lieu à des
droits.