Le 13 janvier 2020, Lamine Diack sera jugé à Paris pour corruption passive et blanchiment de capitaux. Pourtant, l’ancien patron de l’Iaaf aura bataillé ferme pour éviter ce procès. Sa demande en annulation de la procédure rejetée par la Chambre d’instruction de Paris (l’équivalent de la Cour d’appel), Lamine Diack avait introduit un recours devant la Cour de cassation qui l’a débouté. L’arrêt rendu dans ce sens et que Libération a obtenu, en même temps que l’ordonnance de renvoi des magistrats en charge de l’instruction, met la lumière sur les découvertes des juges ayant renvoyé Lamine Diack et Cie en correctionnelle. De même que le rôle central dans cette affaire de Tracfin, le service anti-blanchiment de Bercy.
Le 13 janvier 2020, Lamine Diack, Habib Cissé (ancien conseiller
juridique de l’Iaaf suspendu à vie) et Gabriel Dolé, ancien médecin- qui
a opté pour le plaider-coupable d’après nos informations- , seront
jugés à Paris pour corruption passive, complicité du même délit et
blanchiment de capitaux. L’ancien patron de l’Iaaf, retenu en France
depuis sa mise en examen ayant suivi son interpellation à l’hôtel
Sheraton de Roissy, le 3 novembre 2016, aura tout fait pour éviter cette
issue.
Selon les documents obtenus par nos soins, Lamine Diack
avait demandé l’annulation de la procédure devant la Chambre
d’instruction (équivalent de la Cour d’appel) de Paris. Mais l’instance
d’appel avait opposé un niet catégorique à l’ancien président de l’Iaaf
qui s’était alors retourné vers la Cour de cassation.
Révélations sur le bras de fer devant la Cour de cassation.
Face aux juges, les avocats de Lamine Diack ont dénoncé ce qu’ils
appellent une «violation ». Selon eux, Lamine Diack était détenteur,
lors de son interpellation, d’un passeport diplomatique de la République
du Sénégal : «Alors que l’immunité diplomatique, relevant de la
Convention de Vienne du 18 avril 1961, confiée par un État à l’un de
ses ressortissants auquel il a délivré un passeport diplomatique
opposable ne peut faire l’objet d’une contestation par les autorités
d’un État étranger sans interrogation préalable de l’État de délivrance ;
qu’en se reconnaissant néanmoins un pouvoir direct d’appréciation sans
égard pour la position des autorités sénégalaises qui n’ont pas été
préalablement interrogées à cette fin, la chambre de l’instruction a
derechef excédé ses pouvoirs en violation de l’ordre public
international ; alors que les faits pour lesquels le requérant a été mis
en examen étant situés durant sa période officielle d’activité qu’il
venait seulement de quitter quelques mois plus tôt, tandis qu’il s’était
rendu en France ès qualités d’ancien président de l’Iaaf pour y faire
une conférence à l’invitation du Comité national olympique et sportif,
le passeport diplomatique de Lamine Diack, lors des actes coercitifs
réalisés en France sur sa personne, n’encourait manifestement aucune
caducité au regard des dispositions de l’article 39 al. 2 de la
Convention de Vienne ; que sur ce point également, l’Etat de délivrance
n’a pas été consulté par les autorités françaises ; qu’ainsi, l’excès de
pouvoir reproché à la chambre de l’instruction s’est encore doublé
d’une violation de la Convention susvisée et des règles et principes
gouvernant l’ordre public international », assènent les avocats.
Pour le Quai d’Orsay, Lamine Diack n’est pas un diplomate.
Un argument que ne partage pas la Cour de cassation qui estime que la
Chambre d’instruction a dit le droit: «Attendu que pour écarter
l’exception tirée de l’immunité qui résulterait de la détention par
Lamine Diack d’un passeport diplomatique à lui délivré par la République
du Sénégal en sa qualité de président de l’Iaaf, l’arrêt relève
notamment que si, au moment de son interpellation le 1er novembre 2015,
Lamine Diack était détenteur d’un passeport diplomatique délivré par la
République sénégalaise en sa qualité de président de la Fédération
internationale d’athlétisme (Iaaf), il n’exerce plus cette fonction
depuis le mois d’août 2015 et ne fait état d’aucune fonction qu’il
occuperait ou mission qu’il remplirait au service de l’Etat sénégalais
depuis au moins l’année 1999, ce dont il résulte que l’intéressé ne
saurait bénéficier de l’immunité conférée par la coutume internationale
aux organes et entités qui constituent l’émanation d’un Etat ainsi qu’à
leurs agents en raison d’actes qui relèvent de la souveraineté de l’Etat
concerné ; que les juges ajoutent que, pour sa part, le ministère des
Affaires étrangères (françaises) a fait savoir que Lamine Diack ne
faisait l’objet en France d’aucune protection diplomatique particulière ;
qu’ils énoncent enfin que la détention d’un passeport diplomatique ne
suffit pas, en soi, à entraîner une immunité absolue de juridiction, ni à
conférer le statut d’agent diplomatique au sens de la Convention de
Vienne du 18 avril 1961, et que, si la validité du passeport n’est pas
remise en cause, ses effets relèvent de l’appréciation souveraine de
l’autorité judiciaire à laquelle il est opposé dans le respect de la
coutume internationale ; Attendu qu’en l’état de ces énonciations, la
chambre de l’instruction, qui n’était pas tenue d’interroger les
autorités sénégalaises, qui n’ont de plus pas fait valoir que le
demandeur aurait bénéficié d’un statut diplomatique, après que
l’ambassadeur du Sénégal en France eut été informé du placement en garde
à vue de l’intéressé, a justifié sa décision ; D’où il suit que le
moyen doit être écarté ».
Les révélations explosives de Tracfin, la Fédération marocaine éclaboussée…
Mais, dans le fond, que révèle l’ordonnance des juges qui ont renvoyé
Lamine Diack, Me Habib Cissé et Gabriel Dolé devant le tribunal après
quatre ans d’instruction ?
C’est le 3 novembre 2015 que Lamine
Diack a été mis en examen des chefs de corruption passive et blanchiment
de crime ou délit de corruption en bande organisée. À cette date,
l’accusation ne se basait que sur le rapport de l’Agence mondiale
antidopage (Ama). Mais le 7 novembre, Tracfin, le service
anti-blanchiment de Bercy, transmet une note explosive aux magistrats.
Dans le signalement, Tracfin indique que Habib Cissé a encaissé, sur ses
comptes bancaires, des sommes perçues en espèces provenant de la
Fédération russe d’athlétisme ainsi d’ailleurs que de la Fédération
marocaine.
Les juges apprendront plus tard que Cissé a été imposé
en novembre 2011 pour assurer la gestion et le suivi des affaires de
passeports biologiques des athlètes (Pba) alors même que l’Iaaf
disposait d’un service juridique. Pire, il s’est procuré auprès du
service médical de l’Iaaf les listes des athlètes russes suspectés de
dopage et s’est rendu à Moscou juste après que l’athlète russe Lilya
Shobukhova a fait allusion à l’entremise d’un avocat dans les
négociations tendant à régler une somme d’argent pour retarder les
sanctions qui la visaient.
Le «protocole de Moscou » a été établi le 8 janvier 2013
D’après toujours les magistrats, c’est le 8 janvier 2013 qu’un accord
avait été pris avec les autorités russes afin de ne pas poursuivre les
six cas avérés de dopage. Ils pensent d’ailleurs que Khalil, fils de
Lamine Diack, est susceptible d’être impliqué dans les faits comme ayant
indiqué à la Fédération turque d’athlétisme qu’il pouvait faire en
sorte, si de l’argent était versé de manière à atteindre les plus hauts
responsables, que l’Iaaf ne fasse pas appel d’une décision ayant refusé
de sanctionner une athlète turque dont le Pba était anormal.
Khalil Diack dans le volet turc du scandale présumé ?
L’autre fils, Papa Massata Diack, en charge à titre exclusif du
marketing au sein de l’Iaaf, a été mis en cause, selon les magistrats,
par un entraîneur russe comme ayant remporté le contrat sur les droits
télévisuels du championnat d’athlétisme de Moscou de 2013 en échange de
la «mise en sourdine » des cas de dopage russes. Ce témoignage a été
étayé par les constatations de Tracfin selon lesquelles il a bénéficié
de sommes payées pour son compte par une société, Black Tidings, qui est
elle-même intervenue dans le remboursement de sommes à l’athlète russe
Lilya Shobukhova. En effet, après avoir versé 569000 dollars, en
plusieurs tranches via Alexey Melnikov, cette dernière a exigé d’être
remboursé après avoir constaté que son «cas » n’avait pas été géré.
Selon Tracfin, le 5 août 2013, cinq jours avant le début des Mondiaux
d’athlétisme à Moscou, Black Tidings a effectué trois transferts pour un
montant total de 750 000 dollars, dont un virement de 100 000 dollars
vers un compte de Ian Tan Tong Han- «ami » de Massata-, et un autre de
350 000 dollars vers Sporting Age Suarl, à Dakar. Pour les seules
journées des 6 et 12 novembre 2013, 197 000 dollars ont été virés de
Black Tidings vers Pamodzi Consulting, et 20 000 dollars de la société
singapourienne vers un compte personnel de Papa Massata Diack. D’après
toujours les renseignements financiers, Matlock Capital group, visé dans
le cadre du volet brésilien du scandale de l’Iaaf, a viré 1,5 million
de dollars à Massata Diack en plus d’une autre opération qui a atterri
dans le compte du fils de l’ancien président de l’Iaaf logé à la Société
générale de banque du Sénégal (Sgbs). Pour se couvrir d’ailleurs, la
Sgbs, qui n’avait pas jugé utile de s’interroger sur l’origine de ces
fonds, a fait tardivement un signalement à la Centif.
Un mail compromettant découvert dans l’ordinateur de Lamine Diack.
Par ailleurs, les juges révèlent qu’un courriel en date du 29 juillet
2013 de Papa Massata Diack à son père a été découvert dans l’ordinateur
de ce dernier lors d’une perquisition au siège de l’Iaaf, à Monaco. Le
mail évoque directement des négociations avec Valentin Balakhnichev pour
la gestion des cas russes de dopage.
Pour les juges, les faits de corruption ont été commis à Paris, en Russie, en Turquie et au Sénégal
Déjà, lors de ses auditions en garde à vue, Lamine Diack avait admis
que de concert avec Valentin Balakhnichev, ex-président de la Fédération
russe d’athlétisme mais également trésorier de l’Iaaf, il avait accepté
de retarder le processus de sanction des athlètes russes convaincus de
dopage moyennant la participation financière de la Russie à ses actions
en faveur de l’élection Présidentielle sénégalaise. L’ensemble de ces
éléments, qui comprennent des preuves matérielles comme le courriel de
son fils du 29 juillet 2013 ainsi que les constations de Tracfin,
constituent de multiples indices graves et concordants en faveur de la
possible commission par Lamine Diack des infractions de corruption
passive et de blanchiment à « Paris, sur le territoire national et sur
les territoires de la Fédération de Russie, de la Turquie, de Monaco et
du Sénégal au préjudice de personnes morales de droit étranger » d’après
les magistrats.